MEMORANDUM
De : Gali Gatta, député à l’Assemblée Nationale du Tchad


Objet : LA SITUATION DU TCHAD A LA VEILLE DE LA VISITE DU PRESIDENT TCHADIEN EN FRANCE

 

Le Tchad engrange les revenus de son pétrole depuis 2003. Sur le plan extérieur il est perçu comme un pays qui connaît une bonne croissance économique et quelques investissements dans le domaine des routes et des bâtiments scolaires classent le Tchad parmi les pays en développement.

Cette perception occulte cependant la mauvaise gouvernance politique, économique et sociale qui fait l’objet de ce mémorandum.

Gouvernance sociale :

Le pays connaît une grève des travailleurs du secteur public. Par ce mouvement, qui entre dans sa 6ème semaine, les grévistes réclament le respect par le gouvernement des engagements pris par le Président de la République au début de l’année pour mettre fin à la grogne sociale. Aucune solution n’est en vue. Le Gouvernement n’a pas engagé de négociations sérieuses. Il fait pourrir la situation mais ce conflit risque de dégénérer en conflit social généralisé. Nous joignons à ce mémorandum la pétition de l’Union des Syndicats du Tchad (UST) qui envisage une radicalisation de la lutte des travailleurs dans les prochains jours.


Gouvernance économique et financière :

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la gestion des ressources du pétrole n’est pas transparente alors même que les champs exploités gagnent du terrain. La nation ne sait pas combien rapporte cette ressource au pays, depuis 10 ans l’Assemblée Nationale n’a pas reçu de loi de règlements. Or seule cette loi peut lui permettre d’apprécier comment le budget de l’Etat est exécuté et dans quels secteurs les crédits sont affectés. Après avoir dénoncé ses accords avec la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International, le Gouvernement encaisse les 10%des recettes pétrolières normalement réservées aux générations futures et les 5% devant être affectées aux régions productrices à titre de dédommagement et d’encouragement pour le développement local. L’Etat gère cette manne à sa guise sans se préoccuper de l’épuisement prochain de la ressource pétrolière et sans souci du développement local.

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Au niveau des finances publiques la situation est inexplicable. Alors que l’Etat doit avoir la maîtrise de toutes ses ressources pour faire face à tous ses engagements (dettes, salaires, dépenses de santé et d’éducation, etc.), ces ressources sont privatisées, détournées au profit de la famille et du clan (Voir ce qu’en dit un journal indépendant de la place que nous mettons en annexe du Mémorandum). Des pratiques qualifiées sous d’autres cieux de « mafieuse » privent le Tchad de sa richesse.

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La vie chère, les déguerpissements et destructions d’habitations pour soi-disant moderniser les villes, font que des milliers de familles survivent dans l’insécurité et la précarité

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L’opacité de la gestion des ressources de l’Etat, la corruption, la mauvaise gouvernance en général empêchent le Tchad de sortir de sa situation inexplicable de famine et de pauvreté. Pays pétrolier le Tchad reste en queue des classements internationaux alors que sa situation pourrait être résolue avec une bonne programmation des priorités d’investissement.


Gouvernance politique :

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Le Tchad connait une dérive autoritariste et dictatoriale. Le pays a connu 2 tentatives de renversement violent du pouvoir par des rebellions et de nombreuses tentatives de coups d’Etat ponctuent régulièrement la vie politique nationale. Des élections sont régulièrement organisées mais bien que supervisées par l’Union Européenne elles restent entachées de fraudes grossières arrangées pour maintenir au pouvoir un régime contesté. Depuis 2007, un accord dit de consolidation du processus électoral, parrainé par l’Union Européenne et la communauté internationale, a essayé de mettre un peu de transparence dans les élections mais les mauvaises habitudes sont tenaces. Cet accord est arrivé à son terme avec les dernières élections communales. Le gouvernement n’entend plus prendre d’autres engagements et les discussions sont bloquées avec son opposition. Le cadre minimal de concertation pouvoir-opposition est bloqué sur ordre du Président de la République.

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La violence est la règle d’or des gouvernants pour se maintenir au pouvoir. La peur de la population lui fait renoncer volontairement à ses droits.

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L’administration centrale est politisée. Le népotisme et le clientélisme généralisés au mépris de la compétence et de la technicité dans les nominations détruisent les fondements mêmes de l’Etat. L’administration territoriale est militarisée et elle s’impose par la terreur..

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Quant à la situation des droits de l’Homme, elle est tout simplement dramatique. Toutes les protestations restent sans écho et comme le pouvoir le dit « les chiens aboient, la caravane passe ». Restent dans les comptes non soldés du régime de nombreux cas de disparitions forcées dont celle du Professeur Ibni Oumar Mahamat Saleh.

Alors que le Président Idriss Déby Itno se prépare à être reçu le 8 octobre prochain à l’Elysée, il serait bon, en raison des liens historiques entre les peuples français et tchadien, de discuter des problèmes intérieurs du Tchad : pays sans progrès humain, dans une situation de famine et de santé qui contraste avec les ressources engrangées de l’exploitation de son pétrole.

Il serait regrettable que le besoin d’une intervention Tchadienne au Mali ou que des contrats économiques (exploitation pétrolière et minière) soient négociés sans contrepartie au niveau de la bonne gouvernance, du progrès social et humain.

Les Tchadiens ont souffert et payé un lourd tribut à la politique aveugle pratiquée par les Présidents Sarkozy et Kadhafi au Tchad.


J’espère que le changement politique en France amènera nos deux pays à tourner définitivement la page dramatique de cette coopération sans progrès. Nous ne pouvons pas sacrifier le Tchad, sa République, sa liberté et son développement sous prétexte qu’Idriss Déby serait l’homme de la stabilité du pays voire de la région, un bouclier contre la menace islamiste, arguments que présentaient déjà en son temps un certain Mouammar Kadhafi, ou même Bachar al Assad, pour se maintenir au pouvoir.
 


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