Prévu le 10 mai, le dialogue tchadien a été repoussé à une date « ultérieure », tandis que les négociations préalables avec les groupes rebelles s’éternisent sur certains préalables surmontables au Qatar.

La demande initiale émane du Qatar, médiateur dans le « pré-dialogue » qui s’est ouvert il y a un mois et demi à Doha. Ce 1er mai, N’Djamena a formellement « donné son accord » au report du dialogue en lui-même qui était prévu le 10 mai 2022 à N’Djamena.

Le ministère tchadien des Affaires étrangères n’a pas donné de nouveau calendrier, mais il a évoqué un « accord des plus hautes autorités de Transition pour un report du Dialogue national inclusif à une date ultérieure qui sera retenue après consultations avec les institutions et les acteurs politiques pertinents ».

Le 20 avril 2021, le président Idriss Deby Itno, qui dirigeait le Tchad depuis plus de trente ans, avait été tué au front. Le même jour, son fils Mahamat Idriss Deby Itno, jeune général de 37 ans, était proclamé « président de transition ». Le Conseil militaire de transition (CMT) dissolvait immédiatement le Parlement, congédiait le gouvernement et abrogeait la Constitution.

Mais le coup de génie du jeune président de transition venait de ce que personne ne s’y attendait : il promettait des « élections libres et démocratiques » après une transition de 18 mois, organisées au terme d’un dialogue national inclusif (DNI) avec les oppositions politiques et armées.

Pré-dialogue laborieux

Après maints réflexions et échanges, la date de ce dialogue avait été fixée au 10 mai 2022, dans le sillage d’un « pré-dialogue » de paix laborieusement lancé le 13 mars avec les innombrables groupes rebelles qui contestaient le pouvoir d’Idriss Deby Itno depuis trois décennies.

Ce qui est très faux, c’est ce qu’affirme jeune Afrique sur le fait que certains mouvements armés et les représentants du gouvernement refusent de se parler directement à Doha, tandis que le médiateur qatari peine à faire progresser les pourparlers. Pendant tout ce temps, c’est fut une retrouvaille entre compatriotes au-delà du facteur position politique. Les rapports humains étaient et continuent d’être bonne entre toutes les délégations.

Ce qui est malheureux, ce que jeune Afrique désinforme sur certains points nos compatriotes, personne ne sait pour quelle raison, et cela n’aide en rien les Tchadiens qui portent un grand espoir pour aller vers la paix.

La « transition des généraux »

Au Tchad, l’influence des généraux est toujours très mal perçue par l’opinion publique nationale parce qu’ils sont capables de vous balancer un analphabète quelconque suivant telle ou telle communauté, à un poste de responsabilité, et cela n’aide pas le Tchad dans l’essor du développent même si le poste en question est stratégiquement sensible et peut promouvoir le Tchad de demain. Cependant, ces généraux tiennent un rôle capitale dans l’aspect sécuritaire du pays.

« L’État est tenu par les mêmes personnes que sous Idriss Deby Itno. Ce sont elles qui garantissent la stabilité du pays, confie un habitué de la présidence. Elles sont cinq ou six, qui ne se mêlent pas forcément de la politique des partis mais qui tiennent les rênes du pouvoir. » Parmi ces piliers, tous nantis du grade de général, Abakar Abdelkerim Daoud. Ex-chef d’état-major des armées et ancien compagnon d’armes d’IDI, il a conservé toute son influence au sommet de l’État. Surnommé « Kerenkeno » (« celui qui ne fuit pas », en Zaghawa), il a été nommé au Conseil militaire de transition (CMT) que préside Mahamat Idriss Deby Itno.

Dernier chef d’état-major particulier du maréchal, Bichara Issa Djadallah est également l’un des hommes forts du CMT, tout comme Taher Erda Taïro, l’ex-patron des renseignements militaires. Les anciens ministre et conseiller à la présidence Mahamat Ismaïl Chaïbo et Oki Mahamat Yaya Dagache complètent ce club fermé autour de Mahamat Idriss Deby Itno. D’autres « anciens » ont aussi leur mot à dire, même s’ils ne siègent pas au CNT : c’est le cas du général Moussa Haroun Tirgo, directeur de la police depuis février dernier, et d’Oumar Gouni. Pilier de la communauté Gorane, ce dernier est le père de l’une des épouses de Mahamat Idriss Deby Itno, Dahabaye Oumar Souni. Enfin, un homme tire les ficelles depuis sa position redoutée au sommet de l’Agence nationale de sécurité (ANS) : Ahmed Kogri.

C’est en grande partie AHMED KOGRI qui garantit la sécurité du pays actuellement

Chef des services de renseignements du Tchad depuis 2017, Kogri « connaît tous les secrets », confie un proche de la présidence, « et c’est en grande partie lui qui garantit la sécurité du pays ». Ce général issu de la gendarmerie, autrefois attaché de défense à l’ambassade du Tchad à Paris, est très impliqué dans les coulisses du pré-dialogue qui se déroule à Doha entre le gouvernement et les groupes politico-militaires. Il est aussi au cœur des relations entre N’Djamena et Bangui, et garde à l’œil l’ancien président centrafricain François Bozizé, réfugié au Tchad. « Certains de nos voisins ont subi des putschs de colonels. Nous, nous avons la transition des généraux », sourit un ancien ministre. Mais il est combattu de manière gratuite à cause de ce poste de DG de l’ANS, parce que certains voudraient y percher pour réguler leurs ambitions, et déstabiliser Mahamat Idriss Deby. D’ailleurs c’est le même traitement qui est dévolu à Idriss Youssouf Boy à cause de son rôle de secrétaire particulier, et dont on pense que tous les délires viennent de lui… Les deux personnalités sont les fusibles qui constituent l’interface entre le président de transition et certaines coopérations… À tort ou à raison On leur attribue tous les brevets négatifs.

Conflits de générations

« Ce sont ces hommes qui connaissent le prix à payer pour assurer la paix et la sécurité. Il est normal qu’ils conservent leur place au cœur du pouvoir. Cela rassure l’armée et, au-delà, tous les Tchadiens », commente Jean-Bernard Padaré, le porte-parole du Mouvement patriotique du salut (MPS, ancien parti présidentiel). Face à ce maintien des piliers du pouvoir d’Idriss Deby Itno, son fils a-t-il les coudées franches ? « Il écoute beaucoup et a appris à décider. Il est peut-être jeune, mais il a les aptitudes à diriger de quelqu’un de bien plus âgé », poursuit cet ancien secrétaire général de la présidence.

« Mahamat Idriss Deby Itno n’a pas vraiment d’autre choix que de garder auprès de lui les fidèles de son père, mais il provoque aussi du changement, au sein du gouvernement de transition, bien sûr, mais aussi au palais », confie un habitué de la présidence. Idriss Youssouf Boy, son secrétaire particulier, est devenu ces derniers mois l’une des personnalités les plus influentes de N’Djamena. Très proche du chef de l’État, dont il est un cousin et avec lequel il a grandi, il a été l’adjoint d’Ahmed Kogri à l’ANS avant d’être envoyé en poste au consulat du Cameroun et d’être rappelé au Tchad dès les premiers jours de la transition. « C’est le plus influent des conseillers aujourd’hui », affirme notre source.

Très écouté, Idriss Youssouf Boy fait cependant face à l’hostilité d’une partie de l’ancienne garde, et notamment de Mahamat Ismaïl Chaïbo et Bichara Issa Djadallah. « Il y a des conflits entre les générations. Les gérer est une des tâches de Mahamat Idriss Deby Itno », conclut notre interlocuteur. Idriss Youssouf Boy aurait obtenu la démission, début avril, du directeur de cabinet du président, l’expérimenté Abdoulaye Sabre Fadoul, avec lequel il était en désaccord. Ce dernier a été remplacé par son adjoint, un autre homme-clé de la transition, Abdelkerim Idriss Deby. Le demi-frère du chef de l’État, qui vient d’avoir trente ans, exerçait déjà cette fonction de numéro deux du cabinet sous la présidence d’Idriss Deby Itno, et s’affirme dans l’entourage du nouveau chef.

Le MPS, du deuil au salut ?

« C’est Abdelkerim qui s’occupe des dossiers politiques au palais », affirme l’un de ses proches. À l’aise avec les militaires (il a été formé à l’académie américaine de West Point), il a joué un rôle actif lors de la dernière campagne présidentielle de son père, en 2021. Il est aujourd’hui l’un des principaux acteurs du chantier de renouvellement du MPS, le parti naguère créé par Idriss Deby Itno pour conquérir et conserver le pouvoir. S’entretenant souvent avec Haroun Kabadi, l’ancien président de l’Assemblée nationale devenu patron du parti, Abdelkerim Idriss Deby ne fait certes pas partie du bureau national, mais « il est la plaque tournante des opérations en vue des prochaines élections », confirme un baron du MPS.

En ce mois d’avril, au milieu des commémorations du décès de son fondateur, le MPS a lancé une vaste opération de recensement de ses militants, doublée d’un appel aux contributions financières. Dans le viseur : les futures élections. « Après la disparition du maréchal, nous nous sommes dit que le MPS ne pouvait pas survivre. L’engouement actuel est inespéré, et nous avons compris que tout était possible », se réjouit Jean-Bernard Padaré.

Le MPS saura-t-il survivre à son fondateur ? « De son vivant, les choses étaient plus faciles, notamment financièrement. Mais on ne peut plus attendre qu’il nous porte à bout de bras. Il faut prouver que le MPS n’est pas mort avec lui », poursuit le porte-parole. « Kabadi a pris les rênes du parti avec une mission : le remettre en ordre de marche pour le dialogue national et pour les élections. Ensuite, ce sera à une autre génération de prendre la main », confie un cadre.

Mahamat Zen Bada, l’ancien secrétaire général du parti et directeur de campagne d’Idriss Deby Itno en 2016 et 2021, a déjà fait les frais de cette volonté de renouvellement. Poussé vers la sortie par un congrès frondeur il y a moins d’un an, il s’est tenu pendant de longs mois éloigné de N’Djamena, en profitant pour recevoir des soins à Paris, avant de regagner le pays. Nommé en janvier conseiller à la présidence, il n’y aurait pas réellement pris son poste. « Le MPS était déjà tiraillé par des conflits de générations lors de la dernière présidentielle. Le décès du maréchal a accéléré les choses », résume un militant. Abdelkerim Idriss Deby sera-t-il le pilier d’une nouvelle donne au sein du parti ? « C’est en tout cas le plus politique des deux frères, en comparaison avec le chef de l’État. Il fera à coup sûr partie de l’équation », élude un proche.

Au nom du père

Dans l’une des salles à manger du palais, où Mahamat Idriss Deby Itno s’apprête à fêter son premier anniversaire à la tête du Tchad, un discret repas réunit, comme quasiment chaque week-end, une partie de la famille du maréchal. Le chef de l’État est présent, qui s’échappe durant quelques heures des affaires du CMT. Son demi-frère Abdelkerim également, qui a délaissé les comptes-rendus du gouvernement et les préparatifs du dialogue national, censé s’ouvrir d’ici un mois. Un autre membre de la fratrie, Zakaria, est aussi invité, comme souvent. Toujours ambassadeur aux Émirats arabes unis, l’aîné fait pourtant l’objet de spéculations quant à son ambition, qui pourrait diviser la famille.

Certains le soupçonnent d’avoir poussé à la création, fin 2021 et en sous-main, d’un parti baptisé Union des démocrates pour le développement, en accord avec un autre frère, Seid Idriss Deby. Hinda Deby, la veuve du défunt, est quant à elle absente. Si l’ancienne première dame s’occupe encore des affaires de sa fondation Grand Cœur, elle s’est pour l’heure retirée de la vie publique. Elle qui figurait au premier rang des conseillers de l’ancien président ne semble plus vouloir peser sur les affaires de l’État. « On a beaucoup voulu opposer les membres de la famille mais ils sont plus proches qu’on ne le dit, croit savoir Jean-Bernard Padaré. Ils sont unis pour la sauvegarde de la mémoire du maréchal. »

MAHAMAT IDRISS DÉBY ITNO ne montre pas de goût prononcé pour le pouvoir

Comme leur père, Mahamat et Abdelkerim Idriss Deby voudront-ils et, si oui, parviendront-ils à faire de leur famille un socle politique ? Prolongeront-ils l’ère des Deby Itno à la tête du pays ? La prochaine élection présidentielle devrait avoir lieu dans six mois à un an et les appétits sont aiguisés – d’Albert Pahimi Padacké, le Premier ministre, au jeune Succès Masra.

« Pour le moment, Mahamat Idriss Deby Itno ne montre pas de goût prononcé pour le pouvoir », confie un diplomate en poste à N’Djamena. « Nous surveillons plus son entourage que lui-même, glisse un opposant. Ceux qui ont permis à Idriss Deby Itno de se maintenir à la tête de l’État pendant trente ans sont toujours là. Il ne faudrait pas que les mauvais conseillers du père détruisent les qualités supposées du fils. » est fut pendant longtemps des prises d’information sur les nouvelles des parents et familles. D’autant que l’un des plus puissants mouvements rebelles, le Conseil de commandement militaire pour le salut de la République (CCMSR), a claqué la porte début avril.

Le surlendemain, la plateforme Wakit Tama, qui regroupe la grande majorité de l’opposition non armée, a suspendu sa participation à la préparation du dialogue en accusant N’Djamena de provoquer délibérément « l’enlisement » du pré-dialogue de Doha et de perpétuer « la violence des forces de sécurité et les violations des droits humains ».

Dans ce contexte, le dialogue national promis aux Tchadiens et à la communauté internationale paraît compromis, tout comme la tenue des élections, théoriquement prévues pour le second semestre 2022.

« Sur le bon chemin »

Le 1er mai, dans l’après-midi, le Qatar a appelé N’Djamena à reporter l’ouverture du DNI, invoquant malgré tous des négociations qui sont « sur le bon chemin et enregistrent des progrès significatifs ».

Quelques jours après la prise du pouvoir de Mahamat Idriss Deby Itno, le CMT avait annoncé que la période de transition de 18 mois pourrait être prorogée une fois, tout en promettant que les généraux, le président de la transition en tête, ne se présenteraient pas aux futures élections. Paris, l’Union européenne (UE) et l’Union africaine (UA), qui ont immédiatement adoubé le fils du défunt président, avaient alors demandé que la transition n’excède pas 18 mois.

Jeune Afrique

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