Chaque samedi, une juriste, un ingénieur et un expert en ressources humaines donnent rendez-vous aux internautes tchadiens pour une discussion autour de thèmes liés à l’entrepreneuriat, à la formation et au coaching. Un seul mot d’ordre : un esprit positif.

Le wanassa, c’est un peu le grin sahélien, la palabre, cette causerie où l’on se retrouve entre voisins, entre amis, pour refaire le monde. C’est ce qu’a cherché à recréer, virtuellement, le trio de choc formé par Achta Mahamat Saleh (juriste), Abdoulaye Mahamat (ingénieur) et Abouna Abdelaziz Papou (expert en ressources humaines). Depuis plus d’un an, leurs discussions hebdomadaires sur Twitter autour de sujets divers liés à l’entrepreneuriat attirent de plus en plus de monde : chefs d’entreprise, politiques, ministres, sans compter les auditeurs lambda. On y parle cryptomonnaie, économie bleue et bons tuyaux pour créer une entreprise.

Chaque samedi, à partir de 21 heures, entre 1 500 et 2 000 personnes se retrouvent sur le forum. Quand les uns parlent, les autres écoutent et envoient des questions en simultané sur le fil Twitter. « Bonsoir à tous ! Souvenez-vous : respect et tolérance sont les deux règles », lance à la cantonade, à chaque début d’émission, Achta Mahamat Saleh, l’une des trois hôtes et modératrice en chef.

Questions toujours pertinentes

L’intelligentsia africaine est invitée à partager ses connaissances et ses expériences sur des thématiques précises : le développement de carrière, les métiers d’avenir… Ce samedi-là, le #Space235 est consacré aux « compétences du XXIe siècle ». Trois invités se succèdent au micro, au cours de deux sessions de une ou deux heures chacune. Les interventions sont parfois un peu longues, mais les questions toujours pertinentes.

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« Est-ce qu’un data scientist peut exercer au Tchad, là où les données ne sont pas vraiment collectées ? » « A-t-on les mêmes besoins numériques qu’en Occident ? » « Quand je suis au Tchad, j’ai surtout besoin de services de base, comme d’un mécanicien pour réparer ma voiture. Est-ce que disposer de compétences plus “basiques” ne serait-il pas plus utile pour le pays ? » interrogent Amine Idriss Adoum, un économiste vivant en Afrique du Sud, et Hyacinthe Ndolenodjl, consultant en développement durable dans toute l’Afrique centrale. Les échanges sont francs et directs, jamais outranciers. « Vous êtes toujours courtois et efficace ! » félicite à la fin de l’émission Charlène Rokhaya, une communicante sénégalaise installée au Canada.

« C’est de la démocratie directe »

À N’Djamena, tout le monde connaît désormais les #Space235, il paraît même que les ministres parlent régulièrement de ces débats virtuels et de leurs animateurs. Rendez-vous est pris à la terrasse de l’hôtel La Résidence, à N’Djamena, avec Abouna Abdelaziz, manager en ressources humaines, le seul des trois hôtes à vivre dans la capitale tchadienne. Dans la “vraie” vie, il est chef d’agence à l’Office national pour la promotion de l’emploi (Onape). Sur Twitter, il anime et prépare les discussions du #Space235. À 34 ans, il est l’homme à tout faire du trio fondateur.

Abouna Abdelaziz arrive tranquillement, presque désinvolte. Habillé sobrement, en qamis et sandales, il revient de la mosquée. Le geek sourit à la fois timidement et largement, s’assied, commande un jus de fruit, tapote sur son smartphone… « Achta ? Oui, c’est Jeune Afrique, là. Et toi, Abdoulaye, tu es en ligne ? La connexion est bonne ? Oui, on vous reçoit bien. »

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Parés pour la discussion. En ligne depuis Le Caire où elle vit depuis plusieurs années, Achta Mahamat Saleh, 39 ans, juriste de formation et directrice d’un cabinet spécialisé en droit des affaires, prend les devants et le monopole du micro. « On se connaissait de vue, avec Abouna et Abdoulaye, ils m’ont contactée en juin 2021 pour savoir si je voulais bien animer un « space » Twitter sur l’entrepreneuriat. Après la mort du président Déby, on craignait tous le pire : la haine montait sur les réseaux sociaux, c’était une catastrophe ; on avait envie d’attirer les gens sur des choses positives et on a créé cet espace de discussion pour libérer la parole. On ne fait pas de politique, mais on œuvre pour améliorer les choses dans notre pays. C’est presque pareil, c’est de la démocratie directe ! »

Achta Mahamat Saleh, c’est aussi l’agréable voix qui rappelle les règles, distribue la parole, calme tout le monde. « Prenez votre thé ou votre tisane, installez-vous confortablement, nous allons partager un bon moment », répète-t-elle comme un gimmick. Quand les choses se passent mal, c’est comme les directs à la radio ou à la télévision, la modératrice coupe le son et bloque tout net le provocateur. « On n’est pas là pour faire des vagues, se faire insulter ou laisser insulter des gens. Pas de référence ethnique non plus chez nous ! On est là pour provoquer le débat dans le respect mutuel. »

Sur le mode wanassa

À l’autre bout de la ligne, depuis la France, Abdoulaye Mahamat, 32 ans, le benjamin du trio, attend sagement son tour. Cet ingénieur en performance énergétique et investissement de projet est un peu le cerveau de la bande. L’idée du Space235 sur le mode wanassa, c’est un peu la sienne. À chaque émission, il écoute et envoie des questions en simultané. « Au début, on n’enregistrait pas, c’était complètement improvisé, explique-t-il. Mais quand on a vu la tournure que ça prenait, on a décidé d’enregistrer les sessions, que je poste rapidement, à la fin, sur mon profil Twitter. Il y a énormément de réécoute. »

Abouna Abdelaziz, lui, n’est pas très bavard. Il regarde son smartphone, écoute, s’étire un peu. C’est lui pourtant qui assure la bonne marche technique de l’émission. « L’accessibilité au réseau s’est beaucoup améliorée. Mais, parfois, nos invités prennent des dispositions drastiques pour éviter les coupures fortuites et n’hésitent pas à louer une chambre d’hôtel pour être certains d’avoir une bonne connexion ! »

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Très suivis au Tchad comme par la diaspora – et par nombre d’Africains en général –, leurs spaces ont un tel succès que les trois co-hôtes réfléchissent à une version télévisée ou sur YouTube. « Pour l’instant, tout est gratuit, mais ça nous prend énormément de temps, reconnaît Abdoulaye Mahamat. On prépare tout en amont, au détail près. Heureusement, les donateurs sont de plus en plus nombreux. Un auditeur s’est même proposé de nous financer depuis l’Allemagne. On cherche la meilleure solution, le bon business plan. Il est clair que nous nous professionnalisons et que nous sommes victimes de notre succès. » Toujours sereine et zen, Achta Mahamat Saleh reprend le micro. « Tranquille ! On se nourrit des uns et des autres. On est d’abord là pour partager ! ».

Jeune Afrique

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