Il y a deux ans mourrait le Maréchal du Tchad. C’était le lundi 19 avril en plein désert, de manière aussi brusque que violente. Cela restera comme le plus grand fiasco de la téméraire armée Tchadienne qui a laissé mourir son Chef comme un vulgaire fantassin.

Je vous partage le souvenir factuel et personnel de ces jours où le Tchad et le reste du monde étaient saisis par la stupeur de la mort d’un Chef d’État au combat. Accrochez-vous, c’est assez long.

Nous étions vers la fin de la campagne électorale. Notre équipe faisait escale à Amdjarass, dernière étape de la tournée qui a mené la Première dame dans les 4 provinces de l’est et du nord. Notre candidat a tenu rester à N’Djamena pour faire le tour des 10 arrondissements de la capitale dans une atmosphère joyeuse et populaire comme pour un adieu.

À plus de 1200km de là à Amdjarass et à quelques jours du scrutin, le député Abdraman Ahmat Borgou me fait observer que l’ambiance de cette campagne et les messages de pardon délivrés par le Maréchal suscitent en lui un pressentiment étrange et qu’il craint un drame à venir, tout en priant Dieu de nous en préserver. Ce 5 avril 2021 à Amdjarass, on était loin d’imaginer la signification de cette mauvaise intuition.

Le Maréchal animera son dernier meeting du stade le 9 avril 2021. Dans l’attente des résultats, l’incursion des éléments du FACT eut lieu. Le vendredi 16 avril, le Maréchal partit assister à l’investiture de son homologue congolais. Ça sera son dernier déplacement à l’étranger.

Le samedi 17 avril, je faisais partie des invités de l’iftar à la Présidence. Je n’ai pu m’y rendre car j’étais en brousse. Dans la nuit de ce samedi, le Maréchal décida de descendre personnellement au front dans le Kanem en dépit de l’insistante opposition des personnes présentes en ce moment. En fait, c’était l’appel du destin qui l’attirait vers le lieu où l’attendait l’ange de la mort.

Le dimanche 18 avril, nous nous retrouvâmes avec le directeur de campagne Zen Bada pour évoquer la proclamation des résultats des élections attendue pour le soir du lundi 19 avril. Le Maréchal qui n’était joignable que par téléphone satellitaire envisageait de rentrer le lundi pour fêter sa probable victoire avec ses sympathisants à la condition que la situation militaire soit maîtrisée. Comme quoi le plan des hommes ne pèse rien face au décret divin.

Lundi 19 avril, 11h : un ami de l’État-major particulier du PR m’alerte sur une information venant du front et faisant état d’une blessure du Maréchal qui serait en cours d’évacuation vers N’Djamena. Je descends à l’État-major où l’ambiance n’était ni à l’inquiétude ni à la jubilation après le combat du matin où curieusement le Maréchal et ses quelques éléments de protection s’y sont retrouvés en première ligne. Personne des officiers présents à l’État-major particulier dont le Général Moussa Haroun et le CEMPR adjoint n’était au courant à cet instant de ce qu’il est advenu au Maréchal.

En tant que ministre de la Santé, les services doivent être mobilisés pour s’occuper des blessés du jour et expédier des médicaments aux soldats sur le terrain. Après avoir donné les instructions nécessaires, je passe au siège du MPS qui était également le QG de campagne où je retrouve Zen Bada pour échanger sur les dernières nouvelles et le programme du soir. Ensemble, nous apprîmes que la blessure du Maréchal serait sérieuse et le fait qu’il ait été descendu de l’avion sur une civière laissait présager le pire. Nous nous refusâmes par instinct de croire à cette thèse malgré la crédibilité et l’insistance de notre source. Au même moment, les chars étaient en train d’être déployés autour de la Présidence. Nous nous donnons rendez-vous pour le soir afin de faire le point.

Lundi 19 avril, 15h30 : De retour au bureau, les appels passés ici et là ne conféraient aucune certitude, ni dans un sens ni dans l’autre. Il fallait évacuer les parapheurs, donner quelques consignes aux services et surtout ne laisser paraître aucune anxiété.

Lundi 19 avril, 18h30 : un cousin, officier à la DGSSIE, passé rompre le jeûne chez moi me confirma qu’un hélicoptère a bien déposé le Maréchal vers 11h-12h mais il ignore s’il est mort ou s’il est simplement blessé.

Lundi 19 avril, 20h00 : l’équipe de campagne et le SGP Kalzeubé se retrouvent au QG pour suivre la proclamation des résultats par la CENI annonçant la victoire du Maréchal avec plus de 78% de voix. Malgré l’ambiance pesante, quelques centaines de militants étaient rassemblés à la place de la nation ignorant que leur candidat victorieux n’était peut-être plus de ce monde. Que faut-il faire ? Nous nous concertons avec Zen Bada et Kalzeubé. Ce dernier, malgré sa position de Ministre d’état SGP, apprenait de nos bouches les rumeurs qui circulaient depuis le matin !

Décision a été prise de tenter d’appeler le Maréchal. Son téléphone sonna longuement mais sans réponse. Deuxième tentative : toujours pas de réponse. Troisième tentative sur le numéro de la Première dame : le téléphone est éteint. Chacun imagine dans sa tête ce qui se passe. On se regarde et on décide malgré tout de faire un tour à la place de la Nation avant de se disperser rapidement. Il était 22h. Nous passâmes la nuit dans ce doute et des questions sans réponse. En réalité, le Maréchal était décédé depuis le lundi matin et la dépouille fut secrètement acheminée à N’Djamena. Le CEMGA et le COM DGSSIE (actuel PT) sont rentrés du front comme d’autres officiers. En présence des principaux responsables militaires et de quelques membres de la famille du défunt commencent les tractations nocturnes sur l’après-Maréchal. Nous apprenons plus tard que Daoussa Deby, présent à ces concertations secrètes, refusa de succéder à son frère et insista pour que la Constitution soit respectée.

Mis en minorité par la majorité d’officiers présents, le choix du COM DGSSIE et fils du Maréchal s’est imposé. Le Président Macron fut le premier Chef d’État informé du résultat des dites tractations. Quelques jours plus tard, les Chefs d’État du G5, le Président en exercice de l’UA et le Président de la Commission de l’UA viendront adouber le scénario transitionnel correspondant à la situation de notre pays.

Mardi 20 avril, 8h : mon téléphone sonne avec insistance. Je regarde et je note de nombreux appels en absence du dircab adjoint Kerimo. Je découvre également le message envoyé par un ami en ces termes : « le pire est arrivé ». Je comprends vite et je me rends immédiatement à la Présidence. J’y retrouve Adoum Younousmi et le défunt Abakar Adoum en concertation avec le dircab Aziz et son adjoint Kerimo logiquement très affecté par la situation mais resté très lucide. Nous sommes donc informés du décès, la veille, du Maréchal et du refus de Kabadi à combler la vacance conformément aux dispositions constitutionnelles. Kabadi venait ainsi de rentrer dans l’histoire en devenant le premier homme à s’infliger un coup d’État (contre lui-même) …

Pour la petite anecdote : il me souvient que lors d’un Conseil des Ministres en octobre 2020 qui examinait le projet de loi constitutionnel, le Maréchal avait malicieusement suscité lui-même un débat sur les dispositions portant sur la suppléance en cas d’empêchement définitif du Chef de l’État.

Dans le projet de loi, il était initialement mentionné que le Gouvernement se réunirait pour saisir la Cour suprême afin de constater la vacance. Mais puisque le PR est en même Chef du Gouvernement, en son absence, qui serait habilité à réunir le Gouvernement ? Qui allait suppléer le PR empêché entre le Président du Sénat et celui de l’Assemblée nationale ? Comme par prémonition, le Maréchal a incité à un débat franc sur ce sujet considéré comme tabou par beaucoup de collègue, en dehors du Ministre Cherif MZ qui était particulièrement inspiré sur le sujet débattu. Au final, ces dispositions n’ont servi à rien pour les raisons que nous connaissons.

On nous apprît aussi la mise en place du CMT et la désignation du Général Mahamat pour le présider. Un débat s’engage entre nous sur la pertinence du schéma retenu avec le non-respect de l’ordre constitutionnel, chacun essayant de défendre son point de vue. Nous n’eûmes pas le temps de terminer notre discussion que la télévision nationale se mit à diffuser la lecture du communiqué du CMT à partir du bâtiment principal situé à quelques mètres de notre emplacement. Dieu avait voulu que ça soit ainsi et c’était certainement le choix le plus adapté à nos réalités du moment. Vers 10-11h, le décès du Maréchal est officiellement rendu public.

Nous passons rendre condoléances à la famille et au nouveau Président que nous avons trouvé très calme et très posé, du moins en apparence.

Après l’annonce officielle du drame, la ville de N’Djamena paniqua avec des carrefours bloqués par la circulation plus désordonnée que d’habitude. Les bureaux se sont vidés. Les marchés et les boutiques ont baissé les rideaux. La même inquiétude se répandit à tout le pays. Immédiatement, il fallait rassurer la population et s’atteler à l’organisation d’obsèques dignes pour l’illustre disparu. Vous connaissez la suite. Progressivement, la transition se mit en place avec ses hauts et ses bas, avec ses vertus et ses vices.

Le Président est mort. Le Tchad doit continuer à vivre. Nous savons tous que seule la grâce de Dieu a pu permettre dans ce moment particulier de préserver la stabilité du pays tant le risque d’implosion était grand. Les événements qui se déroulent au Soudan voisin doivent nous rappeler que la paix n’est jamais acquise tant que les conditions objectives de sa pérennisation ne sont pas réunies et sanctuarisées par ceux qui en ont la responsabilité.

Le Maréchal a régné. Comme tout être humain, il avait ses défauts et ses qualités. Il a réussi des choses qu’il faut fructifier, il en a raté d’autres qu’il faut rattraper. Mais il fut un vrai patriote et un grand homme d’État avec une humanité qui n’est connue que des intimes. Les 10 années passées à ses côtés nous autorisent à porter ce jugement sur le défunt. Qu’Allah le couvre de sa bénédiction et le compte parmi les résidents du paradis.

En conclusion, la mort est là pour nous rappeler notre fragilité. Il n’y a pas d’égal à la toute-puissance d’Allah. Les gouvernants qui se rappellent en permanence cette vérité sont les mieux à même de diriger avec justice, hauteur et détachement. Pour faire un chef respecté et aimé par Dieu ainsi que par les hommes, il faut se départir de toute forme de mégalomanie et réprimer l’ascendant que les relations interpersonnelles tentent en vous-même de prendre sur les exigences de la gestion des affaires de l’État. À bon entendeur salut !

Abdoulaye Sabre Fadoul

P.S : Certains détails et l’analyse de ces moments sont à retrouver dans nos mémoires si Dieu nous donne le temps et la force de les rédiger avant notre rappel à Lui.

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