Aux portes du pouvoir en France, la formation d’extrême droite tente depuis une décennie de tisser sa toile au sein des palais présidentiels africains. Elle s’est pour cela entourée d’une garde rapprochée très introduite sur le continent. Plusieurs cadres du RN ont mené ces dernières semaines de discrètes consultations.

La fin de matinée est fraîche en ce 23 janvier 2024 à Paris. Devant le siège de l’Unesco, dans le 7e arrondissement, un parterre d’invités se presse devant le grand auditorium, situé au rez-de-chaussée. Ils sont venus participer à la Journée mondiale de la culture africaine et afro-descendante qu’accueille la directrice générale de l’organisation onusienne, Audrey Azoulay.

Parmi les convives figurent plus d’une vingtaine d’ambassadeurs africains, mais aussi une poignée de ministres du continent. Alors qu’ils s’apprêtent à quitter la salle, deux d’entre eux sont approchés par une dame, portant pull rose et écharpe beige. La quadragénaire venue assister à la conférence n’y va pas par quatre chemins : elle est une cadre du Rassemblement national (RN) et souhaite travailler à renforcer la relation entre la formation d’extrême droite et les dirigeants du continent africain.

Elle échange cartes de visite et amabilités et propose à plusieurs d’entre eux de continuer ces discussions ultérieurement, afin d’évoquer « les prochaines échéances électorales françaises » et tout particulièrement celle de 2027.

Des groupes informels

L’initiative intrigue ses interlocuteurs, qui s’interrogent sur l’identité de cette représentante du RN, au visage inconnu des plateaux télé. Il s’agit en réalité de Myriam Lamzoudi. Candidate malheureuse aux élections législatives de 2022 soutenue par Jordan Bardella, cette élue locale de l’Oise écume ces dernières années, les événements et forums en lien avec le continent africain. Très active sur le sujet au sein de la formation, elle s’est construit un petit réseau parmi les ambassadeurs africains en poste à Paris et avec des figures de la diaspora. Un entregent qu’elle tente désormais de mettre au service du RN.

Au sein de la formation d’extrême droite, ils sont, comme Myriam Lamzoudi, quelques-uns à s’être mobilisés ces derniers mois sur les dossiers africains, avec des résultats pour le moins mitigés. Si des groupes informels se sont montés, le RN ne dispose pas à ce jour d’une véritable équipe chargée du continent africain. La dissolution annoncée par le président français Emmanuel Macron le 9 juin, et la possibilité pour le RN d’obtenir une majorité absolue au soir du 7 juillet, ont néanmoins précipité les choses, alors que le parti fait campagne sur une ligne très ferme en matière d’immigration.

De Macky Sall à Félix Tshisekedi

Le RN a, ces dernières années, entamé un vaste chantier en vue de renouveler son image auprès des dirigeants africains. Une stratégie essentiellement pilotée par l’homme d’affaires Philippe Bohn, qui fait aujourd’hui office de « conseiller spécial Afrique » de Marine Le Pen. Partageant son temps entre Paris et Dubaï, cet ancien directeur Afrique d’Airbus, puis patron de la compagnie aérienne Air Sénégal (2017-2019, a mis son carnet d’adresses à disposition de la leader frontiste.

Un temps actif au sein des Horaces, ce brain trust élitiste de hauts fonctionnaires, chefs d’entreprise, et avocats appuyant le RN depuis 2015, Philippe Bohn a organisé plusieurs entrevues entre Marine Le Pen et des personnalités politiques africaines. La plus remarquée d’entre elles est la rencontre en février 2023 avec l’ex-président sénégalais Macky Sall, dont il est un familier de longue date. Marine Le Pen s’était rendue dans le pays de la Teranga avec plusieurs membres de son parti, parmi lesquels l’eurodéputé Philippe Olivier et Nicolas Lesage. Au cours de l’année 2017, cet autre habitué du cercle des Horaces avait contribué à organiser les déplacements de Marine Le Pen au Tchad, en Égypte et au Liban.

Proche de l’ex-ministre de l’économie Alain Madelin, Philippe Bohn a également facilité un rendez-vous entre l’ancienne présidente du RN et l’opposant somalien Abshir Aden Ferro. Il l’a par ailleurs introduite auprès d’acteurs des milieux d’affaires français sur le continent africain, à l’instar du milliardaire Jean-Claude Mimran.

Philippe Bohn a aussi noué des contacts avec l’entourage de Félix Tshisekedi. Au Collège des Bernardins le 29 avril à Paris, il a ainsi joué les ambassadeurs de Marine Le Pen à la présentation du livre du président de la RDC, Pour un Congo retrouvé. Il y a notamment fait dédicacer deux exemplaires à l’intention de la candidate à la présidentielle de 2022 et de son poulain, Jordan Bardella. Marine Le Pen avait, un temps, souhaité assister à l’événement, mais elle avait finalement été retenue à un meeting à Perpignan.

Les réseaux de l’Internationale démocrate centriste

Philippe Bohn côtoie la fille de Jean-Marie Le Pen depuis plus de trente ans. Leur première rencontre remonte au mitan des années 1990. Outre Marine Le Pen, l’ancien patron d’Air Sénégal a facilité plusieurs rencontres pour le compte de Jordan Bardella. Preuve de la proximité entre les deux hommes : Philippe Bohn faisait partie de la poignée de VIP qui étaient aux côtés du président du parti d’extrême droite lors de l’annonce des résultats du premier tour des élections législatives, le soir du 30 juin. Ces derniers mois, il a ainsi tenté de sensibiliser le président du RN aux dossiers africains, alors que ce dernier ne s’est jamais rendu sur le continent et n’y dispose pas du moindre entregent.

Depuis le 9 juin, Philippe Bohn s’est lancé dans un actif argumentaire destiné à promouvoir la diplomatie africaine d’une majorité RN. Il l’a notamment déployé au sein des réseaux de l’Internationale démocrate centriste (IDC) où il est particulièrement bien introduit. Le 14 juin, il a ainsi profité d’un colloque de l’IDC au Sénat pour présenter, sous les lambris dorés du palais du Luxembourg, la vision du parti frontiste devant une vingtaine de délégations africaines membres de l’organisation. Parmi les responsables présents figuraient le chef du gouvernement du Cap-Vert, José Ulisses de Pina Correia e Silva, celui de Sao Tomé-et-Principe, Patrice Trovoada, et la ministre ivoirienne chargée de la fonction publique, Anne-Désirée Ouloto.

De discrètes consultations

Outre Philippe Bohn, le RN s’appuie de longue date sur le maire de Perpignan et ancien compagnon de Marine Le Pen, Louis Aliot. Depuis le 9 juin, il mène une série de discrètes consultations afin de préparer au mieux l’arrivée aux affaires du Rassemblement national. Dans la matinée du 4 juillet, il a longuement évoqué les dossiers africains avec l’avocat français Marcel Ceccaldi.

Ancien défenseur de Laurent Gabgbo, Karim Keita et de Saïf el-Islam Kadhafi, fils de Mouammar Kadhadi, Marcel Ceccaldi a longtemps été l’une des principales figures des réseaux du Front national (FN) sur le continent. Bien que jamais encarté dans ce parti, cet intime de Jean-Marie Le Pen a ouvert les portes des palais présidentiels du continent au candidat à l’élection présidentielle de 2002. En 2016, c’est lui qui avait organisé le déplacement du « Menhir » à Malabo pour prendre part à l’investiture du chef de l’État équato-guinéen, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo.

Bien qu’il ait perdu de son influence sous l’ère Marine Le Pen, Marcel Ceccaldi reste régulièrement consulté par Louis Aliot. Au cours des deux dernières décennies, les deux hommes ont mené de concert plusieurs missions africaines pour le compte du parti. Le duo avait notamment préparé le déplacement au Tchad de la présidente du RN en mars 2017. Elle avait été reçue par l’ancien président, Idriss Déby, décédé en avril 2021. Une rencontre inédite qui avait dessiné la stature internationale de la leader d’extrême droite.

Des figures emblématiques de la droite française

Louis Aliot a également été très actif auprès de l’opposition à Denis Sassou-Nguesso, au Congo. En 2015, l’ancien vice-président du FN avait ainsi été dans l’Hexagone l’un des plus virulents procureurs du référendum constitutionnel voulu par le président congolais. Le maire de Perpignan est en effet très lié, depuis le début des années 2000, à l’opposant congolais Guy-Brice Parfait Kolélas. Terrassé en mars 2021 par le Covid-19, celui-ci avait été un temps encarté au FN. Louis Aliot a depuis pris ses distances avec l’opposition congolaise, dont la proximité avec le RN avait irrité Denis Sassou-Nguesso. En août 2023, l’édile a par ailleurs livré un aperçu de la stratégie africaine du RN dans une tribune publiée par L’Opinion.

D’autres figures emblématiques de la droite française en Afrique ont tissé des liens avec la nouvelle garde du parti. Jordan Bardella a ainsi été introduit auprès de l’avocat franco-sénégalais Robert Bourgi. Les deux hommes se sont rencontrés pour la première fois en 2021, en marge d’un dîner dans un restaurant de Saint-Raphaël (sud-est de la France) en compagnie du maire de Fréjus, David Rachline, lui-même familier de Robert Bourgi. Pour autant, ce dernier, toujours très proche de l’ancien chef de l’État Nicolas Sarkozy, ne joue à ce jour aucun rôle auprès du président du RN. Mais un autre ancien sarkozyste ayant, lui, rallié le RN pourrait davantage s’investir au service de la formation d’extrême droite sur le continent : Thierry Mariani. Proche de Rabat, l’ancien ministre des transports est un intime de plusieurs go-between qui opèrent entre la France et l’Afrique subsaharienne.

En difficulté chez les diplomates

Si pour avancer ses pions en Afrique, le RN privilégie des réseaux affairistes quelque peu vieillissants, c’est que la formation a depuis de nombreuses années le plus grand mal à attirer les diplomates en son sein, un corps de fonctionnaires parmi les plus hermétiques aux thèses du RN. En 2022, plusieurs cadres de la Direction Afrique et océan Indien (DAOI) du Quai d’Orsay avaient néanmoins déjà été discrètement approchés par un petit cercle de hauts fonctionnaires – notamment issus de la préfectorale – acquis à Marine Le Pen.

À ce jour, seul l’ancien ambassadeur de France en Algérie Xavier Driencourt assume sa proximité avec Marine Le Pen, qu’il a rencontrée à plusieurs reprises depuis 2022 et dont il a embrassé plusieurs combats. Mais alors que le RN est aux portes de pouvoir, une poignée de missi dominici de la formation d’extrême droite se mobilisent à nouveau. Au sein du ministère des affaires étrangères, ils ont d’ores et déjà tissé des liens avec des cadres des services consulaires.

Outre leur volonté de revenir sur la suppression du corps diplomatique, les relais du RN disposent également d’un autre élément de langage : « Le retour d’une diplomatie d’État à État. » L’argument vise à s’inscrire en rupture avec plusieurs initiatives portées par Emmanuel Macron ces dernières années, tout particulièrement à l’endroit des diasporas africaines. À rebours du format traditionnel, l’Élysée avait ainsi organisé en octobre 2021 le premier sommet Afrique-France sans aucun chef d’État, remplacés pour l’occasion par des délégations de la société civile. Une manœuvre qui avait provoqué des incompréhensions chez certains ambassadeurs français. Elle avait surtout suscité les vives critiques de l’extrême droite. Marine Le Pen avait alors dénoncé sur Twitter un exercice de « repentance » devenue « un job à plein temps » de la part du président français.

Pierre-Elie de Rohan Chabot, Paul Deutschmann.

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