Profitant d’une stabilité retrouvée et de ses revenus pétroliers, le Tchad se transforme en profondeur. Grands travaux, relations d’affaires, consommation… Tout bouge.

 

Ahmat Hassan a perdu ses repères. Comme des centaines de Tchadiens établis en Centrafrique, où son père s’est installé il y a presque quarante ans, le jeune homme a dû fuir les violences perpétrées par les milices anti-balaka. Il a d’abord atterri dans un camp pour rapatriés du Salamat (dans le sud-est du Tchad). Puis, sur la route de la capitale, Ahmat a redécouvert son pays d’origine. Que de changements depuis son dernier séjour, il y a une dizaine d’années… N’Djamena n’était alors qu’une bourgade figée, hors du temps, aux allures de préfecture provinciale. La ville était marquée par les stigmates des combats qui avaient opposé l’armée régulière aux assaillants venus de l’est pour tenter de renverser le pouvoir. À l’époque, sur cette terre chaude et meurtrie, la guerre était une fatalité. Les populations fuyaient vers les pays voisins. Aujourd’hui, ceux qui sont partis reviennent dans un pays stable et apaisé. Mais ces "retournés" vont devoir se réadapter, tant la métamorphose est radicale.

 

La capitale est hérissée de grues, comme autant de signes de la multiplication des grands chantiers. Sur les rives du fleuve Chari, des bâtiments ultramodernes poussent. Derrière des murs de clôture élevés, certains quartiers se muent en enclaves pour citadins aisés, aux loyers exorbitants, ce qui chasse les plus modestes. Certes, la ville compte encore beaucoup de routes cahoteuses et poussiéreuses, mais elles sont progressivement bitumées, équipées de drains, de trottoirs, de mobilier urbain, et de nouveaux grands boulevards, éclairés la nuit, ont déjà profondément changé son visage. Chaque année, l’État investit entre 70 et 80 milliards de F CFA (entre 107 et 122 millions d’euros) dans les voiries urbaines. Alors qu’elle disposait de moins de 20 km de routes asphaltées en 1990, la capitale en compte aujourd’hui près de 200.

 

Une modernisation bienvenue compte tenu du renouvellement de son parc automobile. Si ce dernier affiche encore une belle collection de Peugeot 504 poussives et vieillottes, la suprématie des reines françaises des pistes est désormais contestée par de gros 4×4 japonais. Leurs conducteurs ? Des quadras et des quinquas, technocrates ou administrateurs, formés à l’étranger et récemment rentrés à N’Djamena pour travailler dans la fonction publique, très demandeuse de cadres compétents, ou dans le privé, en pleine expansion. Hydrocarbures, BTP, banque, téléphonie mobile… Dans tous les secteurs, les entreprises ont besoin de collaborateurs qualifiés pour mieux s’implanter sur cette terre où tout est à faire, et se développer.

 

"Je ne regrette pas d’être rentré au pays", se félicite Barma R. Barka, salarié d’Atepa, le cabinet d’architecture du Sénégalais Pierre Goudiaby Atepa. Le groupe est maître d’oeuvre de Cité internationale des affaires, en cours de construction, dans le centre de N’Djamena. Barka supervise les différents chantiers du futur complexe. Sous la pression du gouvernement, ouvriers chinois et tchadiens mettent les bouchées doubles. Début mars, le Premier ministre en personne est venu observer l’avancement des travaux. L’enjeu est de taille : fin juin 2015, la capitale doit être prête à accueillir le 25e sommet de l’Union africaine. D’autres bâtiments seront édifiés pour héberger invités et délégations, notamment deux complexes hôteliers, et 75 villas de luxe où séjourneront les chefs d’État.

Le pays compte produire 200 000 barils par jour

Comme sa capitale, le Tchad change énormément. Grâce aux revenus du pétrole, dont la production a commencé en 2003 à Doba et en 2010 dans le bassin de Bongor, le gouvernement poursuit son programme d’investissements massifs. Il vise en particulier à développer les infrastructures et à réduire la dépendance énergétique du pays à l’égard de ses voisins. Redevances et dividendes pétroliers, droits de douane divers, taxes et impôts sur les sociétés, à commencer par les majors opérant dans le sud du pays… Selon le ministère de l’Énergie, "les ressources provenant de l’exploitation pétrolière représentent désormais 75 % du budget général de l’État". Après un léger ralentissement dû à des incidents techniques sur certains champs pétroliers au premier trimestre 2013, le pays compte produire 200 000 barils par jour en 2014 (contre 106 000 b/j en 2013), et le Fonds monétaire international (FMI) estime que la croissance du PIB devrait atteindre 10,8 % pour l’année en cours (contre 3,6 % en 2013). Afin de diversifier les sources de financement de l’économie, l’État a lancé avec succès deux appels publics à l’épargne sur les marchés financiers d’Afrique centrale en trois ans. En 2011, le gouvernement a émis un emprunt obligataire pour un montant de 100 milliards de F CFA (il arrivera à échéance en 2016) et en a émis un second fin 2013 pour 85 milliards de F CFA (pour la période 2013-2018).

La Chine a pris sa part

Autres canaux de financement : les fameux package deals proposés par les partenaires chinois en contrepartie de l’octroi de concessions pétrolières. Depuis que N’Djamena a rétabli ses relations diplomatiques avec Pékin, en juillet 2006, la Chine a pris une part considérable dans les programmes de développement du Tchad. Ses grands groupes ont raflé des appels d’offres majeurs, avec le soutien de la puissante China Eximbank. Ainsi la China National Petroleum Corporation (CNPC), qui exploite les gisements pétroliers du bassin de Bongor, a construit et gère la première raffinerie du pays, mise en service en 2011 à Djermaya, dans la banlieue nord de la capitale (un investissement de 450 millions d’euros), ainsi que l’oléoduc qui permet de l’alimenter, sans oublier une centrale électrique d’une puissance de 20 mégawatts.

La culture d’entreprise "à la chinoise" a ses limites, et, même si des compromis ont toujours été trouvés, Tchadiens et Chinois se sont sévèrement accrochés à plusieurs reprises.

 

Mais la culture d’entreprise "à la chinoise" a ses limites, et, même si des compromis ont toujours été trouvés, Tchadiens et Chinois se sont sévèrement accrochés à plusieurs reprises : en 2012 à cause du prix du carburant jugé trop élevé pour les ménages, ces derniers mois en raison des mauvaises pratiques environnementales et du non-respect du code du travail… Une raison de plus pour diversifier ses partenaires. Cela tombe bien : attirés par le retour de la stabilité, le lancement d’importants projets d’aménagement et l’émergence de nouveaux besoins de consommation (produits et services), les opérateurs africains, américains, asiatiques et européens sont de plus en plus nombreux à convoiter le marché tchadien. Les entreprises françaises, notamment, manifestent un regain d’intérêt pour le pays, dont elles s’étaient détournées depuis des lustres. Conduite par Michel Roussin, ancien ministre de la Coopération et vice-président de Medef International, une délégation du patronat français a séjourné fin février à N’Djamena, réunissant une trentaine de dirigeants de groupes et de PME-PMI actifs dans l’agro-industrie, l’élevage, le BTP, le transport et la logistique, l’énergie, l’eau, l’environnement, la santé, le textile, la sécurisation de l’état civil…

 

Éviter la dépendance


Situé à la confluence des grands ensembles régionaux sahélo-sahariens et d’Afrique subsaharienne, le pays diversifie également ses relations régionales, l’objectif étant de se désenclaver tout en évitant une trop grande dépendance à l’égard de l’un ou l’autre de ses voisins. Membre de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), le Tchad s’est aussi rapproché de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), qui lui a accordé le statut d’observateur. En Afrique de l’Ouest, sa participation à la reconquête du nord du Mali lui a conféré une influence diplomatique considérable. Il espère en tirer des bénéfices dans ses relations avec les États de la région, notamment sur le plan économique et sécuritaire.

 

Si le pays est parvenu à restaurer la paix et la sécurité à l’intérieur de ses frontières en 2009, il en va autrement à l’extérieur. À l’ouest, avec ses voisins nigérian et nigérien, mais aussi au nord, avec la crise libyenne, il doit continuer à endiguer le risque de déstabilisation causé par les groupes terroristes armés qui sévissent dans la bande sahélo-saharienne.

 

À la frontière est, il n’y a plus rien à craindre du Soudan, jadis principal soutien des groupes rebelles tchadiens. L’heure est aux projets de développement conjoints. En 2011, le Tchad a négocié un espace neuf fois supérieur à celui dont il disposait auparavant (27 000 m2 contre 3 000 m2) à Port-Soudan… Où se sont retrouvés, le 7 mars dernier, le président Idriss Déby Itno, en visite d’amitié, et son homologue soudanais Omar el-Béchir. Ils ont évoqué la construction de la ligne de chemin de fer Port-Soudan – Abéché-N’Djamena-Moundou. Un projet qui devrait être réalisé par la China Civil Engineering Construction Corporation pour la bagatelle de 5,4 milliards d’euros.

Jeuneafrique.com 

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