Le journal le citoyen avait publié dans son n°082 du 4 au 11 mai 2015 une tribune pour prévenir de la gestation d’une tension religieuse musulmane au Tchad à imbrication politique, impliquant des acteurs à différents niveaux, notamment le président du CSAI, l’association Ansar al sounna, les Tidjane et le pouvoir en place. Tension qui risque de compromettre la fragile stabilité dans ce pays entouré des foyers de tensions. Le temps et les faits nous ont donné raison…malheureusement ! Ces derniers temps la tension semble augmenter d’un cran confirmant ce contre quoi le journal mettait en garde. De nouveau, sous l’initiative et l’emprise de Cheick Hussein Hassan, la tension entre leaders Salafistes Ansar sounna et le CSAI, reprend. Kebir Mahamat Abdoulaye et Yacoub Adam Yacoub en ont également donné le ton sur la toile.


En effet, un rapport à charge de président du Conseil supérieur des affaires Islamiques (CSAI) contre les Ansar sunna, a abouti à la rediffusion de l’arrêté de dissolution de l’association Ansar  dans toutes les provinces par le ministère de l’Intérieur. Cette énième sanction à l’égard des Ansar suivie des décisions de fermeture de leur mosquée dans les régions de bahr-el gazal et du Guerra ajouté aux sorties virulentes du Cheick Hussein Hassan (CHH),  ravive la tension. Après de vains recours auprès des structures  et institutions étatiques sensées décrisper la situation et concilier les acteurs, les oulémas de l’association Ansar démissionnent tout bonnement  du CSAI à laquelle ils avaient été associés par un protocole de cohabitation pacifique. Ils évoquent, en substance, dans leur lettre de démission, les accusations graves portées à leur encontre sans fondements, la domination du CSAI par les tidjanites. Mais surtout  la violation des termes de l’accord, la gestion unilatérale, partisane du CSAI par le président CHH se traduisant par l’absence de toute concertation à la prise de décision et le parti-pris pour la confrérie tidjane. En conséquence l’association Ansar dépose également une plainte à la justice contre CHH. Ce dernier développement pousse de nouveau le Cheick Hussein Hassan à jeter l’anathème sur les Ansar, les qualifiants à l’occasion des terroristes proches de la secte Boko-Haram contre lesquels les Tchadiens doivent se soulever afin de les enrayer du pays. Ces accusations graves associées à celle traitant l’imam Abou Hanifa (école hanaifite) de responsable du terrorisme dans le monde, le Cheick Ouseimine de mécréant, retentissent dans les milieux musulmans au niveau national et international. Le sujet devient l’objet de débats et des vifs échanges dans les réseaux sociaux, les lieux de cultes et de rencontres. Des échanges virulents et des insultes ne sont pas du reste.


Auparavant, face à des semblables accusations du président du CSAI, exaspérés, les Ansar avaient dit le «gonout » dans leur prière de vendredi dans toute leur mosquée. Prière qui n’est dite qu’en cas d’extrême tension. Cet état de fais, pris à l’époque comme une intension dissimulée du pouvoir tendant à ostraciser l’islam sunnite (Salafistes), semble être aujourd’hui à découvert. Après la dissolution de l’association sous-prétexte de mesures sécuritaires, commence aujourd’hui, l’étape des fermetures des mosquées, de lieu d’apprentissage de coran et de prêche. Des rumeurs sur un projet en 14 étapes commençant par l’interdiction de «i baya» sous l’égide d’un comité mixte gouvernement- CSAI (dirigé par le PM) circulaient à merveilles depuis les attentats de N’djamena. Une dynamique nocive de provocation et de menace semble prendre corps aujourd’hui. Tout laisse croire que le Rubicon est franchi dans le rapport entre le président du CSAI soutenu par le pouvoir et les ansar. Les salafites longtemps restés passifs pour éviter les pièges de violence qui leur sont tendus semblent avoir le dos au mur. Nous sommes à la croisée de chemin. D’un coté il y a un système qui fait le total pour étouffer les activités religieuses des uns et, de l’autre des dévots, acculés, exaspérés sans espoir qui écrivent dans leur lettre au ministre de l’Intérieur, que leur vie sans la possibilité de pratiquer leur religion n’aurait pas de sens. Ce qui est d’un sens profond, sorti de la bouche d’un croyant. Les signaux sont alarmants, implacables. Le pays semble voguer sur un fil de rasoir. Des signaux des haines communautaires et un certain lexique propre aux génocidaires apparaissent  sur les réseaux sociaux (les insectes, les juifs).  Mais dans tout cela, c’est le rôle (position) du pouvoir gardien de l’ordre public dans la gestion de cette crise qui intrigue plus d’un Tchadien. Il y a des Tchadiens qui se demandent aujourd’hui si le pouvoir n’est pas une partie du problème au lieu d’être celui qui décrispe la situation ? Sa position inclinant pour le CSAI est-elle l’expression de sa peur excessive d’un islam “Salafistes“ indépendant ? Où veut-il tout simplement utiliser la stratégie de la peur d’un islam radical très payant dans la géopolitique mondiale pour s’assurer les soutiens des pays occidentaux face à une crise post-électorale et une rébellion au Nord? Pourquoi prêtent-ils tribune et moyen coercitif au président du CSAI pour réprimer les Ansar sounna. Enfin, que font les intellectuels, les hommes politiques, les leaders d’opinion, les grandes consciences, les ONG, la communauté internationale pour parer à ce développement qui semble alarmant afin d’éviter au Tchad une crise aux conséquences désastreuses?


De l’avis de plusieurs Tchadiens, le pouvoir à travers ces prises de décisions, son soutien à Cheick HH et à la tidjania montre qu’il n’est pas neutre dans le conflit. D’ailleurs, il ne fait rien pour arrêter les provocations et la violence verbale de CHH. Aussi par l’entremise de ses administrateurs, diplomates et les moyens de communication, la voix officielle du pouvoir, semble soutenir le président de CSAI et son projet d‘islam exclusivement soufi pour le Tchad. Les discours du PR à l’occasion des fêtes religieuses qui mentionnent que le Tchad s’auto-suffit en connaissances d’islam et les autres voix officielles qui disent s’opposer à un islam nouveau exporté riment avec ceux tenu par CHH. Les tentatives de fermetures des mosquées, l’arrestation des Ansar dans certaines régions et les décisions des certains gouverneurs appelant à la confiscation des mosquées, écoles des Ansar pour leur mise à la disposition du CSAI prouve à suffisance le soutien du pouvoir. En outre le soutien d’un programme de formation des 500 imams au Maroc, berceau du tidjanisme et à l’opposé, l’étau sur les Tchadiens en Arabie saoudite et les universités islamiques, sont encore une autre volonté de limiter un islam sunnite orthodoxe appelé wahhabite dont l’Arabie saoudite serait le berceau.

 
Qu’est ce qui motiverait un tel choix de politique d’orientation religieuse ? Pour certains analyste IDI ne fait que le realpolitik dans un contexte international où la métropole France et les autres puissances se penchent vers les soufismes plus porté à accepter l’ordre international établit qu’un islam orthodoxe attaché à l’Arabie saoudite plus revendicatif de l’application de l’islam de source et dont le discours est à intonation fortement politique. Face à une telle hypothèse l’ambassade des USA au Tchad  semble lever toute équivoque lorsque sa délégation participant à un atelier a affirmé sans ambages que les USA n’ont aucune préférence ou des privilèges pour un groupe fut-il soufie ou salafiste. Pour d’autres, IDI, qui n’est pas d’une dévotion particulière et non intéressé par les confréries et autres groupes, a développé un intérêt pour ce sujet stratégique dans le monde actuel après la chute de Kadhafi et la création d’une rébellion soutenu par ses ennemis d’hier, les rebelles libyens (CNT). Encore que ces nouveaux rebelles seraient en majorité originaires du bahr-el gazal dont un nombre des habitants est d’obédience sunnite. Pour les plus incisifs des analystes, le pouvoir à travers ce soutien au CSAI qui traite les Salafistes de Boko-Haram et Daesh voudrait faire un lien entre des extrémistes qu’il combat et les proches de ceux qu’il combat qui se rebelleraient pour imposer leur vision terroriste.  C’est cette hypothèse que certaines officines proches du pouvoir tentent de faire avaler à l’opinion. La troisième hypothèse est que le pouvoir lui-même est mené en bateau par une coterie radicale qui exploite sa peur depuis sa participation aux combats de Mali. Cette coterie dont la tête pensante est l’imam Ahmad Annour Alhallou renvoyé auparavant du Soudan pour son comportement et ses positionnements séditieux et dont la venue au Tchad n’a de cesse ravivée les questions de controverses qui semblaient s’estomper avant son arrivée.


Pour finir, il importe de rappeler que le Tchad est une république laïque. Le peuple a affirmé solennellement en préambule de la constitution, sa volonté de vivre ensemble dans le respect des diversités ethniques, religieuses et culturelles. Dans une telle république l’Exécutif n’a pas vocation à privilégier une obédience au détriment d’une autre ou d’avoir de préférence affichée. Le pouvoir gagnerait beaucoup à transcender la méfiance et la suspicion actuelle fondées sur des préjugés et des rancunes des groupes ou des personnes opposées pour s’en tenir aux faits. De l’avis plusieurs experts les Ansar-al sounna sont des Salafistes quiétistes apolitiques, victimes tout simplement d’un procès d’intention.


La stigmatisation et l’exclusion de cette tendance quiétiste conduirait inexorablement à la radicalisation et pourrait ainsi ouvrir des brèches pour l’implantation des extrémistes violents. Si le pays veut anticiper sur le développement des éventuels groupes extrémistes violents, il doit agir avec lucidité, méthode et pédagogie. Les Salafistes actuels disposés à l’aider lui seront d’une grande utilité. Les USA à Travers The office of religion and global affairs sous John Kerry of ont déjà (2013) ont adopté une stratégie de dialogue inclusif, associant les groupes Salafistes non-violents en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et au sahel pour promouvoir la démocratie et prévenir le djihadisme violent et le terrorisme. Au Tchad depuis plusieurs années l’USAID a capitalisé une expérience en matière de dialogue et lutte contre l’extrémisme violent (projet PDEV) qui pourrait être d’une grande utilité pour le pays. En fin, le travail fait par la Fondation Cordoue de Genève et le département de  Fédéral Suisse des Affaires Etrangères à travers l’organisation d’une série des ateliers pour renouer la paix entre Tidjane et Ansar doit être soutenu par les décideurs.


Mahamat Abderamane Mahamat

Le journal le citoyen n°136 du 18 au 25 juillet 2016.

 

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