Le Qatar a ordonné au gouvernement tchadien de surseoir à sa volonté de passer à la vitesse supérieure pour organiser, le 10 mai 2022 à N’Djaména, un Dialogue national. À Éclairages, on l’avait dénoncé, fin avril 2022. Nous avions estimé que l’éventuel dialogue national risquerait d’être à l’image du forum de 2018 qui a forcé le passage à la 4ème République et celui de 2020, soldé par la révision d’une constitution impopulaire. Les forums organisés sous Deby Itno n’avaient rien d’inclusif et les participants ont toujours été concoctés pour le plus grand plaisir du dictateur. A pas de charge, le CMT voulait faire les choses à sa guise, sans tenir compte de l’assentiment du peuple. Pourtant, le Dialogue national inclusif sollicité après l’ère Deby Itno devait être un rendez-vous de tous les Tchadiens, sans exception. Vouloir l’organiser sans les politico-militaires, sans le peuple des Indignés, c’était un manque de considération pour les autres Tchadiens.

Le message de l’État du Qatar, notamment celui de Son Émir, Son Altesse Cheikh Tamim Bin Hamad Al Thani a donc été entendu. Toute honte bue, le CMT, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, publie le 1er mai 2022, un communiqué pour saluer l’important rôle de l’État du Qatar dans les pourparlers inter-tchadiens de paix en cours à Doha. Le CMT informe l’opinion internationale qu’il prend acte de l’appel du Qatar pour le report de son dialogue prévu à N’Djaména, le 10 mai 2022, sans la participation des groupes politiques et militaires. Le rétropédalage du Conseil militaire de transition est salutaire. Mais ça n’est pas tout !

Finalement, les choses ne pourront reprendre au Tchad qu’après la conclusion d’un Accord de paix avec les rebelles. Et on apprend que cet Accord de paix ne sera possible que si Mahamat Idriss Deby Itno jure sur le Coran. Il doit promettre de respecter sa parole, celle de laisser le pouvoir après la période de la transition militaire.

Aujourd’hui, Mahamat Idriss Deby Itno est interpellé par les politico-militaires. Ils l’attendent de pied ferme, sans bouger, à Doha. Il doit s’y rendre précipitamment dans les jours qui suivent pour un tête-à-tête avec ses frères Rebelles. S’il refuse de se plier, les armes tonneront, pour la énième fois, à la porte de N’Djaména.

Les vraies négociations vont maintenant commencer ; celles des braves ! Les pré-dialogues au Tchad et tout ce qui s’est passé durant tout le mois d’avril à Doha n’étaient que des hors-d’œuvre chauds servis aux pauvres hères, aux « mendiants de l’espoir », pour paraphraser le titre d’un roman de Dr Ali Abdel Rahman Haggar. Doha, jusqu’au moment où nous écrivons ces lignes, n’est qu’une partie de prise de vues, des photos souvenirs de ceux qui ont eu le privilège de goûter aux délices de cet Outre-Paradis. La photo de Saleh Kebzabo, publiée ce 02 mai 2022 « à la sortie de la prière de l’Eid à Doha et qui montre des Tchadiens de toutes origines et obédiences politiques », en est une preuve.

Vous avez dit dialogue ? Le maréchal du Tchad, de son vivant, avait souhaité être le dernier seigneur de la guerre du Tchad. Dans une interview accordée à la Gazette du Golfe en novembre 1991, Idriss Deby avait « exprimé sa ferme volonté que le MPS ne se conduise pas comme le mouvement qui est en dessus de tout, mais comme le dernier mouvement en armes à prendre le pouvoir au Tchad, et qui devrait assurer la mise en place d’un État de droit ». Autrement dit, il pensait qu’avec lui Deby au pouvoir, il n’y aurait plus de rebellions sur le territoire tchadien. Erreur.

L’histoire lui a prouvé le contraire. Il est mort, arme à la main, dans une guerre qu’il livrait aux rebelles du FACT. Son fils Mahamat, devenu le patron du Conseil militaire de transition (CMT), président de la République, avait déclaré – à demi-mot- qu’il ne confisquera pas le pouvoir, après les 18 mois de la période consacrée à la transition autocratique-militaire. Mais la soif du pouvoir aidant, il est ébloui par les lambris du palais rose et semble ne plus voir la réalité en face. Pourtant, partir est pour lui la seule alternative ; il doit céder le fauteuil présidentiel à un président élu démocratiquement.

Lors d’une interview avec le chef du FACT, Mahamat Mahdi Ali en janvier 2022, ce dernier nous a confié que la rébellion est illégitime, le CMT l’est autant. Chacun doit chercher la voie autorisée pour se rendre légitime. C’est alors que se pose et se posera au moment de la signature de l’Accord de Doha, la question de l’exclusion lors des prochaines consultations électorales au Tchad, des acteurs et surtout de tous ceux qui dirigent actuellement la transition. Les rebelles demanderont la Modification de la Charte de transition à cet effet. Ce débat qui fait l’unanimité au sein de la classe politique tchadienne est la clef de voûte des revendications des politico-militaires. D’après nos sources, si le président du CMT ne se plie pas à leur exigence, la rébellion tchadienne qui compte actuellement une cinquantaine de groupuscules, en pourparlers à Doha, reprendra les armes pour marcher sur N’Djaména. C’est malheureusement prévisible pour ceux qui savent lire les signes des temps.

Deli Sainzoumi Nestor

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